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Chemin de croix
(s. M.-P.)


1e station
JESUS EST CONDAMNE A MORT.
"Il s’est abandonné
à celui qui le jugeait injustement".

Que pouvait-il faire d’autre,
face au pouvoir, face aux jurés, face aux juges?
Innocent ou coupable
que pouvait-il faire d’autre ?

Tombe la sentence.
"Non !" crie l’innocent.
"Non ! crie le coupable, pareillement.

Certains, parfois, ne disent rien,
comme l’agneau qu’on mène à l’abattoir,
comme Jésus qu’on vient de condamner,
comme le juif qu’on pousse vers la chambre à gaz,
comme Maximilien Kolbe au seuil du bunker.

Ils ne disent rien…
comme la femme adultère
que les anciens vont lapider.
Tombe la sentence
et l’innocent ne dit rien.
Je veux joindre au sien
mon silence,
minuscule goutte d’eau
dans la coupe d’alliance.

Jésus est condamné à mort
et ne dit rien.




2e station
JESUS EST CHARGE DE SA CROIX
C’est l’usage,
la peine dans la peine :
On charge de sa croix
le condamné,
on met sur ses épaules la poutre verticale.
On l’incline .
Les épaules de l’homme ploient.
C’est l’usage.

Le bois mort, le bois du supplice,
le crucifié doit en éprouver le poids.
Le bois mort, le bois du supplice,
où il pendra comme un fruit vivant,
un fruit palpitant, haletant.
Un corps de douleur,
avant d’être le fruit mort,
le fruit dérisoire,
du bois mort.
Le crois-tu, toi ?
Le bois mort reverdira.
Tu verras de tes yeux
l’Arbre de vie portant un fruit précieux.
Le crois-tu ?

Alors tu reconnaîtras
le bois mort, le bois du supplice,
le trône de gloire.




3e station
JESUS TOMBE POUR LA PREMIERE FOIS.
Il est tombé comme les autres condamnés
quand, soudain, l’angoisse leur coupe les jambes.
Quelques-uns , pourtant,
méprisants, indomptés,
pas un instant ne faiblissent.

Il est tombé comme un homme ivre,
un enfant maladroit sur le chemin.
Faut dire qu’il en avait déjà bien enduré,
celui-là.
Il en avait lourd sur les épaules,
plus lourd encore sur le cœur.

C’est lui qu’on acclamait hier :
Hosanna au fils de David !
Béni soit celui qui vient !

Le vent a tourné vite.
Dégage, maudit :
on ne veut plus de toi !
A mort ! A mort !

Le vent a tourné vite.
Car enfin, cet homme
c’est bien lui qui marchait sur les eaux.
C’est bien lui qui disait au paralytique :
Prends ton grabat et marche.
Je ne comprends pas.
Il fuyait quand on voulait le faire roi,
il ne se dérobe plus maintenant
il se laisse regarder, trébuchant, humilié.

Je ne comprends pas.
Je suis là.
Je le regarde tomber…




4e station
JESUS RENCONTRE SA MERE
O Marie,
Marie de Nazareth, Marie de Bethléem.
Le voilà, ton bel enfant !
A l’instant de votre rencontre
se suspendent rires et moqueries…

Savait- il que tu serais là ?
Le désirait-il vraiment ?
T’imposer cela !
Non, tu n’aurais pas dû être là !
On aurait dû t’en empêcher.
on aurait dû t’épargner, l’épargner !

Silencieux le condamné.
Silencieuse la mère du condamné.
Silencieuse leur douleur, et leur silence dit :
"O ma mère, que me fais-tu ?
Comment tenir sous ton regard.
L’heure est venue. Pars."
"O mon fils que me fais-tu ?
J’aurais donné ma vie pour toi ?
O mon fils, que nous fais-tu,
à nous les humbles, les petits ?
Nous espérions…"

Le regard de la mère est noyé d’ombre,
mais il y monte comme un profond acquiescement :
"Qu’il nous soit fait selon ta Parole."

L’aube traverse le regard du condamné :
"O Femme, que ta foi est grande !"




5e station
JESUS EST AIDE PAR SIMON DE CYRENE.
A cette heure du jour
on laisse ses outils, on se repose.
Ainsi pense Simon qui revient des champs.
Simon revient des champs,
mais l’occupant le réquisitionne.
L’occupant réquisitionne qui bon lui semble,
de préférence un homme de peu.
Jésus est aidé par Simon de Cyrène
mais Simon n’y va pas volontiers.
Qui porterait volontiers la croix d’un condamné ?
Qui voudrait avec lui former un attelage ?
C’est un mauvais présage

Simon porte la croix de Jésus,
avec Jésus, derrière Jésus,
disciple d’occasion, qui n’en demandait pas tant.
Le Maître marche devant,
le Maître, ce fou, ce Rabbi.

Jésus pense à cet homme derrière lui,
cet homme qui porte sa croix,
Jésus pense à Simon de Cyrène,
et cet enfant du Père, ce frère,
Jésus l’aime. Jésus l’aime .




6e station
VÉRONIQUE ESSUIE LA FACE DE JESUS.
Un homme a aidé Jésus, bon gré, mal gré.
C’est au tour d’une femme maintenant.
Elle s’est avancée, droite, sans peur.
Elle s’est approchée de lui.
Librement.

Un geste suffit. Un geste de rien.
Un geste pour alléger un peu si grande peine,
le geste d’une femme qui compatit.
Et tout un coup, autour d’elle, on se souvient :
ce condamné, ce grotesque,
c’est un frère humain,
Qui avilit son frère,
c’est son Dieu qu’il méprise.
Qui relève son frère,
c’est Dieu qu’il glorifie.

Jésus n’avait plus visage d’homme.
Une femme, un instant, le lui restaure.

O Véronique,
emporte, emporte et garde bien ce voile
marqué de l’image du Fils de l’homme.
Et qu’importe après tout
que sur ton voile l’image s’efface.
puisque en ton cœur à jamais
resplendira la Sainte Face,
la face de l’homme, la face de Dieu.




7e station
JÉSUS TOMBE POUR LA DEUXIÈME FOIS.
Il tombe sur les deux genoux.
pesamment, brutalement.
Quelqu’un l’a-t’il poussé
parmi ces gens qui le haïssent ?
Hier encore ils se pressaient autour de lui
pour qu’il les guérisse.

Quelqu’un l’a-t’il poussé
parmi ces gens qui le haïssent ?
"Non", pense en lui-même le jeune homme,
celui qui s’est enfui du jardin de Gethsemani.

Il en est maintenant témoin :
Jésus tombe sur les deux genoux.
comme il est tombé, là-bas, sous les Oliviers.
On dirait qu’il prie comme il a prié :
"Non pas ce que je veux, Père,
mais ce que tu veux."

Veut-il vraiment cela ton Dieu, ô Christ ?
Veut-il vraiment cette horreur ?
"Non pas ce que je veux, Père,
mais ce que tu veux."
O Christ, fais que je croie
ce que tu crois.
Tu en es sûr - et tu en meurs :
ce que veut le Père, c’est ton amour.




8e station
JESUS RENCONTRE LES FEMMES DE JÉRUSALEM
Elles pleurent. Elles gémissent. Elles ont mal.
Une douleur d’amour
plus forte que leur peur.

Les femmes alentour
osent dire qu’elles ont aimé le Galiléen.
Elles ne l’ont pas trahi. Elles ne le renient pas.
Elles l’aiment pour toujours.
"Filles de Jérusalem,
ne pleurez pas sur moi !
Pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants !"

Je crois qu’il entendit en cet instant
le cri de Rachel
qui ne veut pas être consolée,
qui ne peut pas être consolée.
Je crois qu’il entendit en cet instant
le cri de Bethléem
au temps de sa naissance.

Je crois qu’il entendit en cet instant,
le cri de Sara au ghetto de Varsovie
quand on lui arracha son petit,
et ceux de cette femme du Rwanda
dont on ébranchait les enfants.
Je crois qu’il entendit
le cri de l’Algérienne
devant ses fils égorgés.
Puisqu’il est Fils de l’homme
et fils de la femme,
puisqu’il est Fils de Dieu,
il doit porter ces cris
et en mourir.




9e station
JÉSUS TOMBE POUR LA TROISIÈME FOIS.
Troisième chute. De tout son long il s’est affalé.
C’est tout juste
s’il n’a pas entraîné dans sa chute.
le Cyrénéen.
Simon oscille entre la colère et la pitié :
un peu plus il lâchait la poutre,
un peu plus ils tombaient, lui et la poutre,
sur ce vermisseau de Nazaréen.

Jésus est tombé, face contre terre, collé à la terre
avant d’être élevé entre ciel et terre.
O terre, terre bien-aimée,
terre de détresse, de roc et de poussière,
pourquoi le rejeter ?
Ouvre-toi, accueille le grain nu
qui bientôt va mourir pour porter du fruit.

Jésus est tombé sous la face de Dieu.
Intègre, comme au désert,
intègre, face à l’Adversaire.
"Ne te réjouis pas à mon sujet, ô mon ennemi,
si je suis tombé, je me relèverai ;
si je demeure dans les ténèbres,
Dieu est ma lumière."


Jésus tombe pour la troisième fois
et pour la troisième fois il se relève.




10e station
JESUS EST DÉPOUILLÉ DE SES VÊTEMENTS
Enlevée la tunique.
Arrachée la robe qui collait à la peau.
Le Maître est là, nu.
Bien peu oseront le montrer tel qu’il fut.
Nu.

Rires obscènes. Railleries.
Et Jésus,
en lui-même recueilli.

Est-ce la joie suprême enfin
de n’avoir rien, de n’être rien ?
Il s’abandonne aux mains humaines
comme un enfant que sa mère
dévêt avant de l’endormir.

Il s’abandonne aux mains humaines
aux mains de ses frères qui savent bien,
- qui ne savent pas - ce qu’ils font.
Un homme nu,
des milliers d’hommes et de femmes nus,
en route pour le crématoire.
Un beau corps d’homme dans la force de l’âge,
les corps aux tendres courbes des enfants,
et les corps humiliés des vieillards,
On dénude puis on tue.




11e station
JÉSUS EST MIS EN CROIX.
C’est fait. Sa croix est plantée.
Sa croix ? Une croix parmi d’autres.

O collines de Rome et leurs forêts de croix.
Et le gémissement, comme le vent,
refluant des milliers de croix
où pendent des esclaves.
Ce n’est pas une mort rare
que celle de crucifié.

Aujourd’hui, au Golgotha.
il sont trois.
Deux coupables, -mais qui mérite pareil châtiment ?
Deux coupables, un innocent.
Ce n’est pas une mort rare
que celle d’un innocent.

Mon Seigneur et mon Dieu.
Je te regarde.
puis je baisse les yeux.
Est-ce vrai ce que l’on m’a dit ?
Tu donnes ta vie pour moi ?

Mon Seigneur et mon Dieu.
j’écoute.
Et voici que tu parles.
Tes paroles, comme autrefois, sont douces.
Dures à comprendre et douces.

Sept paroles pour clore ta vie d’homme.
J’écoute, Seigneur.
J’écoute et je crois.




12e station
JESUS MEURT EN CROIX
Un dernier cri.
Le souffle ultime d’un corps saisi par l’asphyxie,
le corps tétanisé d’un crucifié.
Car c’est ainsi qu’ils expirent.
Le visage s’incline aux ténèbres.
Jésus meurt.

O mon Christ
c’en est fini de ta douleur.

C’en est fini ?
N’avais-tu pas encore
tant de paroles à dire,
tant de signes à faire ?

C’en est fini.
Tout est dit. Tout est accompli.

O mon fils, ô ma douleur,
dors maintenant,
dors mon pauvre enfant.
pense la mère.

Mais à nous quel secret livrent
ce corps supplicié, et ce côté ouvert.
Rien, murmure le doute.

Rien ?
Non : tout.

Tout ce qui se joue depuis le premier jour.
Tout ce qui se joue entre les hommes,
entre les hommes et Dieu.

Tout ce qui se joue entre Dieu et Dieu.




13e station
JÉSUS EST DÉTACHÉ DE LA CROIX.
Spectacle insupportable.
Ultime devoir.
Ce corps est vénérable.
Ce condamné est très aimé.

Mais les deux autres suppliciés,
le bon et le mauvais,
guettés par les oiseaux de proie,
restent cloués au Golgotha.

Je le crois :
Marie enveloppe de sa pitié,
les deux autres suppliciés,
le bon et le mauvais.

Lui, l’Agneau,
un instant repose
sur ses genoux de mère.

Cette mère et ce fils,
les uns les virent beaux et calmes,
corps de marbre à jamais apaisés.
Pour d’autres ils sont
tout ce qui navre et désespère.

O mort, offense irréparable
à ce qui naît pour vivre et vivre encore.
Cependant,
pas un homme désormais,
pas un enfant, pas une femme
ne meurt sans être déposé
un instant sur les genoux de Notre Dame.

Les anges le voient, eux.
Les anges le savent.




14e station
JESUS EST MIS AU TOMBEAU
Le plus ancien rite, celui des humains
se reconnaissant les uns les autres
comme un peu plus que ce qu’ils sont.

Ne dites pas trop vite que la mort
n’a plus d’emprise sur ce mort-là.

Lui, le mort, savait-il quand il ressusciterait ?
Connaissait-il le délai ?
Seul, le Père qui est dans les cieux le sait.

Ne dites pas trop vite de ce mort-là
qu’il est vainqueur.
Que savez-vous de son combat
aux plus épaisses ténèbres ?

Ne vivez pas aujourd’hui
le jour de demain.
A chaque jour son mystère et son poids.

Ce soir,
un défi est lancé à tous les espoirs.
Ce soir nous vivons la Passion de ce mort.
La quinzième station n’est pas de notre ressort.

Jésus est mis au tombeau.
N’inventez rien.
Ne dites plus un mot.

Laissez Jésus
prendre possession de votre mort.
De votre vie.



Marie-Pierre Faure
 
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