L'hymne et sa fonction |
L’HYMNE ET SA FONCTION DANS L’OFFICE « Le Souverain Prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance, le Christ Jésus, prenant la nature humaine, a introduit dans notre exil terrestre cet hymne qui se chante éternellement dans les demeures célestes. Il s’adjoint toute la communauté des hommes et se l’associe dans ce cantique de louange ». Ainsi débute le chapitre IV, consacré à l’office divin, de la Constitution conciliaire de Vatican II sur la Liturgie. Si ce Concile prend « la partie pour le tout » et appelle « hymne » l’office divin qui est chanté au ciel, c’est sans doute que cette pièce tient une place et remplit une fonction importante au cœur de la prière officielle de l’Église. L’hymne dans le dynamisme de l’office Dans l’office monastique traditionnel, celui pratiqué jusqu’à Vatican II, l’hymne occupe, suivant les heures, une place différente. Dans un article intitulé : « L’hymne dans une liturgie rénovée1 », et paru en 1967, le Père Gelineau résume ainsi la question de la place de l’hymne : « Dans l’office divin, à la différence de la Messe, l’hymne intervient comme un des éléments constitutifs à côté de la lecture, de la psalmodie et de la prière. Elle y remplit, selon les cas, trois fonctions : La réforme liturgique aura finalement privilégié la fonction d'ouverture de l'hymne. Ce changement de place sera officialisé par l’ « institutio Generalis de Liturgia Horarum » (IGLH), publiée par la S. Congrégation pour le Culte divin le 15 mars 1971, et qui mentionne cela par deux fois : « La liturgie des heures… est construite de manière à comprendre toujours, après l’hymne d’ouverture, la psalmodie, puis une lecture plus ou moins longue tirée des Saintes Écritures, enfin des prières. » n° 33 Dans des célébrations moins codifiées que celles des monastères, par exemple dans des offices paroissiaux, on peut, avec plus de liberté, distinguer des « hymnes d'ouverture » et des « hymnes de réponse à la Parole ». Prenons pour exemple deux hymnes de Patrice de La Tour du Pin. La première : Que cherchez-vous au soir tombant2 aurait tout à fait sa place comme réponse après la lecture de l’Évangile d’Emmaüs durant l’octave de Pâques, alors que la deuxième : Seigneur, au seuil de cette nuit3 est bien mieux en place au début de l’office de vêpres. De même, l’hymne Puisqu’il est avec nous4 de Didier Rimaud, qui est de style exhortatif, répond mieux à la fonction d’approfondissement qu’à la fonction d’ouverture. L’hymne prend une autre coloration, et par conséquent joue un autre rôle, lorsqu’elle ouvre effectivement l’office ou lors qu’elle vient en réponse à une psalmodie et une écoute de la Parole assez longue. En l'un et l'autre cas l’hymne est un texte qui délivre un message indépendamment de son lieu d’utilisation. Notons que ce même conflit « sens-fonction » se retrouve pour ces autres compositions poétiques que sont les « Tropaires », et qui peuvent et doivent servir à la fois d’ouverture pour l’Eucharistie et de réponse à la Parole à l’office. L’hymne et le temps Dans ces remarques autour de la place de l’hymne dans l’office, nous avons passé sous silence une donnée fort importante, à savoir le lien entre l’hymne et le « mystère » célébré par l’office. La Présentation Générale de l’Office Divin est assez explicite sur ce sujet : « Le rôle de l’hymne est de donner à chaque heure ou à chaque fête sa tonalité propre, et à rendre plus facile et plus joyeuse l’entrée dans la prière, surtout quand la célébration se fait avec le peuple. » n° 42C’était déjà une des fonctions des anciennes hymnes latines, les « incipit » étant, sur ce point, très caractéristiques : Nocte surgentes aux vigiles, Ecce jam noctis tenuatur umbra à laudes, Jam lucis orto sidere à prime, jusqu’au Te lucis ante terminum de complies. Le rapport entre l’hymne et le temps est à prendre à deux niveaux. Il y a d’abord le niveau du temps « cosmologique » avec ses oppositions nuit/jour ; matin/plein-midi/soir. Depuis toujours, l’hymnographie chrétienne a célébré l’apparition de la lumière, l’aurore, en la liant, d’ailleurs, à la personne du Christ et à sa Résurrection à l’aube de Pâques. Dès le début de la réforme liturgique plusieurs compositions ont repris ce thème : Splendeur jaillie du sein de Dieu, De même, le coucher du soleil et les ombres de la nuit ont été, et sont encore une vraie source d’inspiration pour les hymnes de complies. Aucune de ces hymnes, d’ailleurs, ne célèbre le matin ou le soir pour eux-mêmes, et le temps « cosmologique » n’est qu'une amorce. En effet, il y a un second niveau, où le temps prend une dimension « sotériologique ». Ce temps est celui de l’Histoire du Salut, depuis la création du monde jusqu’à la Parousie, en passant par l’Incarnation, la vie terrestre de Jésus, la naissance de l’Église, etc.… Le Directoire pour l’office bénédictin souligne bien cela : « Quand on parle de l’office divin, les Heures ne doivent pas s’entendre seulement au sens de divisions du temps chronologique qui s’écoule (« chronos »). Il s’agit, en effet, ici, d’espaces de temps qui, en raison du culte célébré, deviennent des moments de l’Histoire du Salut (« Kairoi ») où il nous est loisible de rencontrer Dieu7 ».Tout au long de l’année liturgique, les hymnes de chaque « temps » célèbrent les divers aspects de cette Histoire du Salut. Mentionnons, cette hymne déjà ancienne pour le temps du Carême : Sois fort, sois fidèle, Israël, ou celle-ci pour le temps de la Pentecôte : Amour qui planais sur les eaux Certaines hymnes, d’ailleurs, couvrent l’ensemble de l’Histoire du Salut, telle celle-ci de Didier Rimaud : Voici la nuit, dont les strophes évoquent, ensuite, la naissance de Jésus, sa mort, sa résurrection, pour terminer avec le temps de l’Église cette « longue nuit où l’on chemine ». Ce « temps du Salut » se retrouve aussi dans beaucoup d’hymnes du temps ordinaire. Traditionnellement, par exemple, l’heure de tierce a voulu commémorer le don de l’Esprit fait aux Apôtres à la troisième heure. À l’instar de l’hymne grégorienne Nunc Sancte nobis Spiritus, bien des hymnes actuelles de tierce reprennent ce thème. Par exemple : Flamme jaillie d’auprès de Dieu, Nous pourrions ainsi passer en revue chaque heure liturgique… Si l’hymne type l’heure et le temps, elle a aussi pour fonction, dans le Sanctoral, de typer la fête et le Saint célébré. L’hymnaire latin comprenait pas mal d’hymnes chantant, de manière fort imagée parfois, les mérites de tel ou tel Saint, à partir d’épisodes concrets de sa vie, fussent-ils légendaires ! Quelques hymnographes présentent sur notre site des hymnes propres au saint en évitant l'anecdotique et le légendaire. Cependant la créations d'hymnes du Commun des saints reste à privilégier, car celles-ci célèbrent ce qui a fait la sainteté de chaque saint en particulier. Cette fonction de « typer » le temps et la fête justifie bien la place des hymnes au début de l’office. Cette fonction d’ouverture est d’ailleurs accentuée dans les offices où l’on a déplacé l’oraison pour la mettre tout de suite après l’hymne, comme conclusion du rite d’ouverture, retrouvant ainsi la même structure que le début de l’Eucharistie, avec introduction, chant du Gloria et collecte. Nous pouvons nous demander, à juste titre, si cette fonction « typique » de l’hymne joue aussi bien dans la liturgie en langue vernaculaire que dans l’ancienne liturgie latine et grégorienne. Pour qu’une hymne soit vraiment « attendue » et devienne typique de tel temps liturgique ou de telle fête, il faut qu’elle ait été chantée plusieurs années, assimilée, mise en rapport avec les autres pièces de l’office (antiennes, répons etc.… ). Un bon discernement dans le choix d'un répertoire, aujourd'hui abondant est donc nécessaire, ainsi qu’une certaine stabilité, qui n'est pas immobilisme, dans ce choix. Autre différence, les hymnes latines étaient fixées une fois pour toutes et l’on n’avait pas beaucoup de choix : ainsi, à chaque jour du Carême, pour les vêpres revenait l'hymne : Audi benigne Conditor, et il était presque obligatoire qu’elle type très fortement ce temps de pénitence. Le fait d’avoir actuellement le choix entre plusieurs hymnes pour chaque heure pousse moins à cette mémorisation « affective » quasi obligée ; par contre, elle apporte une plus grande richesse doctrinale et poétique. Pour ma part, je pense qu’une hymne composée pour une circonstance très déterminée, par exemple l’hymne de Didier Rimaud : Brillez déjà, lueurs de Pâques12, prévue pour la Vigile Pascale, peut se charger très vite d’un poids émotionnel certain. L’hymne et le chant Dans son chapitre VI, qui traite de la musique sacrée, la Constitution de Vatican II sur la Liturgie dit ceci : « L’action liturgique présente une forme plus noble lorsque les offices divins sont célébrés solennellement avec chant, que les ministres sacrés y interviennent et que le peuple y participe activement.13 »Le Concile met ainsi en lien la solennité de la célébration et la participation active du peuple. Huit ans plus tard, en 1971, un autre document romain qu’est la Présentation Générale de la liturgie des heures reprend cela en l’appliquant aux hymnes : « Les hymnes pourront aussi nourrir la prière de celui qui récite les heures, si elles ont une valeur doctrinale et artistique : cependant, elles sont, par elles-mêmes, destinées au chant. Il est donc recommandé de les chanter autant que possible dans la célébration communautaire. » n° 280Dans un autre langage, Joseph Gelineau reprenait cela à son compte et écrivait : « Les significations fondamentales du chant se rencontrent avec un maximum d’intensité dans la situation que, selon son emploi traditionnel, nous appelons l’hymne. Dans l’expérience commune, en effet, l’hymne est le chant par excellence, le chant que l’on chante ensemble dans une fête et qui devient symbole des sentiments ou de l’idéal du groupe.14 »Ce point de vue semble bien admis par tous et la pratique concrète montre que l’hymne est effectivement la pièce de l’office qui est chantée en priorité. Si la communauté qui célèbre a peu de moyens, du fait de l’âge, des voix ou du petit nombre, elle récitera tout, mais essayera quand même de chanter l’hymne. Si l’hymne est chantée, ce n’est donc pas simplement pour solenniser l’office, mais c’est bien plutôt pour qu’elle prenne tout son sens et qu’elle joue sa fonction de « sommet lyrique ». Saint-Augustin ne disait-il pas déjà de son temps : « Que le chant manque, et il n’y a point d’hymne » ! Or, le chant requiert un lien organique entre le texte et la musique. L’hymne est un « acte de chant » distinct de la psalmodie et de la proclamation. « L’hymne occupe une situation moyenne (aux frontières flexibles) entre d’une part tous les genres de cantillation, où le texte donne forme au chant, d’autre part les genres plus « musicaux » où la musique est nettement prédominante sur le texte. En gros elle représente une fonction d’équilibre texte-musique, l’un n’étant jamais pensable sans l’autre »15. Dans la célébration de l’office, la grande majorité des hymnes utilisées sont de forme « strophique » stricte, sans refrain, chantées soit en chœurs alternés, suivant l’ancien usage grégorien, soit, et c’est une tendance qui se généralise, en chorale par tous en même temps. En effet, peu de textes réclament impérativement un dialogue entre deux chœurs ; quand cela se trouve, il faut, bien sûr, faire jouer ce dialogue. Une hymne bien connue de ce type est : Alterner systématiquement des hymnes conçues pour être chantées d’une seule coulée peut nuire à la compréhension. Qu’on le veuille ou non, l’attitude envers l’hymne est différente que l’on chante ou que l’on écoute alternativement une strophe sur deux. L’alternance se comprend mieux pour les hymnes à refrain, où ce dernier, pris par tous, réalise l’unité avant de « relancer la balle » à l’autre chœur. Ce type d’hymne est, aussi, bien adapté à des assemblées nombreuses et peu habituées à chanter ensemble, qui peuvent difficilement chanter toutes les strophes, parfois d’ailleurs plus délicates à exécuter musicalement, mais qui entrent très facilement dans la dynamique de l’hymne par le chant du refrain. Dans ce genre d’hymne, la polyphonie est un élément qui peut permettre de « solenniser » l’office, tout en soutenant et étoffant le chant de l’assemblée.Ouvrez vos cœurs au souffle de Dieu, Au terme de ce parcours à travers les hymnes, où nous avons cherché à cerner leurs différentes fonctions, il peut être bon de synthétiser à gros traits le visage de l’hymne dans notre office aujourd'hui. Située au début, après le verset d’introduction et l’invitatoire (quand c’est le premier office de la journée), l’hymne oriente d’emblée notre prière dans le sens de l’heure, du temps ou de la fête célébrés. Son texte, nourri de la Bible et de la tradition ecclésiale, est très rarement une traduction des hymnes anciennes ; il en est parfois une adaptation mais dans la grande majorité des cas c’est une composition contemporaine. Chantée par toute l’assemblée, elle traduit, d’emblée, « une plus profonde union des cœurs dans le service de la louange de Dieu ». Elle marque un sommet lyrique où l’homme, avec ses mots à lui, s’adresse à son Seigneur. Aux deux offices principaux de laudes et vêpres, il y aura, après la psalmodie et l’écoute de la Parole, un autre sommet lyrique, lorsque l’assemblée, par le Benedictus ou le Magnificat, chantera Dieu avec les mots mêmes de Dieu. En conclusion d’un article sur l’hymnodie, daté de 1966, Didier Rimaud écrivait : « Il serait bien étrange que Vatican II n’aboutisse pas à une floraison de chants nouveaux. Une vie nouvelle est allée réveiller certains secteurs de notre foi. Sur ces terrains où les théologiens et les pasteurs ont prié et travaillé, il faudrait que des poètes, eux aussi théologiens et pasteurs, prient et travaillent pour que naissent, à côté des psaumes et des cantiques, les hymnes de l’Église d’aujourd’hui.16 »
NOTES |