C'est d’abord parce qu’elle est la mère, le foyer et la patrie de mon être spirituel que j’aime l’Église. Je me suis souvent demandé où en serait ma prière, où en serait ma foi si elles étaient réduites à ce qui vient de moi seul ? J’avais déjà bien des réponses : celle de la Bible, qui montre le rapport religieux comme un rapport d’alliance, inauguré une fois pour toutes et vécu en peuple, en corps ; celle de la psychologie qui montre comment la personnalité se forme en intégrant tout un passé et tout un présent qui nous viennent des autres.
Cette matrice culturelle, l’Église l’a été et l’est toujours pour ma foi et pour ma prière. En elle, grâce à elle, cette foi et cette prière sont nourries de celles d’Abraham, de David, des prophètes et de Paul, de celles d’Athanase, Augustin, Léon, Thomas d’Aquin, de celles de François et des deux Thérèse. Karl Barth, dont la foi et la prière m’ont aussi nourri, écrivait en 1966 : « Aujourd’hui on flotte. Et flotter ce n’est pas être libre, c’est être prisonnier de toutes les vagues qui déferlent ». L’Église m’a donné la base ferme, les certitudes dont j’ai besoin pour vivre et même, finalement, pour être libre. Autrement je risquerais de n’être qu’un tourbillon : un mouvement, peut-être très dynamique, mais sans point d’application et ainsi sans efficacité.
Étudiant la Tradition, j’ai été frappé par le fait qu’elle est autre chose, et plus qu’une transmission d’idées : ce qu’elle communique à cet égard même, elle ne le communique pas par mode scolaire et conceptuel, mais dans des gestes, dans une célébration où tous les sens sont pris. La foi en Jésus Rédempteur a pénétré en moi par le signe de croix, la foi eucharistique par la communion et par l’atmosphère des églises. Je ne veux pas verser dans l’esthétisme ni dans le romantisme. Mais pourquoi mon être spirituel ne s’éduquerait-il pas, comme mon être humain tout court, par une plénitude complète de moyens affectifs et sensibles tout pénétrés d’Esprit ?
Ma mère charnelle avait pu vieillir. La mienne du reste, était demeurée plus jeune que nous tous d’esprit et de cœur. Mon Église porte bien quelques rides, elle a gardé quelques habitudes démodées. Mais elle cherche généreusement - et c’est là aussi mon affaire : je ne peux pas en laisser le soin aux seuls pasteurs responsables -, à être, non une Église d’hier dans un monde d’aujourd’hui, mais l’Église de toujours dans le monde des hommes, tel que le fait l’histoire. Elle sait qu’elle est Mission et qu’à cet égard, son avenir est d’être présente à l’avenir du monde. Si nous attendions d’avoir une Église sans reproche pour prendre parti avec elle et en elle, nous ne commencerions jamais. Emmanuel Mounier pourrait bien nous avoir donné une règle d’or lorsqu’il écrit : « La condition humaine, c’est l’ambiguïté créatrice… Exister, c’est se contester perpétuellement en s’engageant sans cesse. »
Il faut voir également l’Église en prospective, comme une histoire à continuer, c’est-à-dire comme tâche et mission. On ne peut se contenter de parler de l’Église statiquement. En un sens, elle se fait tous les jours par la fidélité et l’initiative de son Seigneur, mais aussi par nous, car Dieu n’agit pas entre ciel et terre.
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