Histoire de la CFC

   

       Commission

mosimage}La Commission Francophone Cistercienne de liturgie

La Commission Francophone Cistercienne de liturgie (C.F.C.) est née, en 1967, comme une structure francophone de l’Ordre cistercien de la Stricte Observance. Cependant, rapidement, les monastères bénédictins, surtout ceux de la Province française de Subiaco et les olivétains, affrontés aux mêmes situations, ont bénéficié de son travail., et y ont même participé, au point que la commission, sans changer son nom, pour des raisons administratives est devenue dans les faits une commission monastique inter-Ordre dont le comité directeur comprend actuellement des moines et moniales cisterciens et bénédictins et dont les membres sont d’origine plus diverse. Plus divers encore les auteurs CFC dont il sera parlé par ailleurs.

 

La C.F.C. au sein de l’Ordre cistercien

 

Cet Ordre est international et dépasse les frontières de l’Europe francophone. C’est à son niveau qu’a été opérée, pour les Trappistes, la mise au point des rites et des livres liturgiques dans la foulée de Vatican II. À cet effet le Chapitre Général de 1965 renouvela la composition de la commission de liturgie de l’Ordre, qui existait depuis longtemps. Cette commission renouvelée fonctionna de 1965 à 1977, puis, son travail étant pratiquement achevé, elle céda la place à un secrétaire central pour la Liturgie, qui veille à ce que les démarches qui s’avèrent encore nécessaires soient bien accomplies.


Ce résultat est condensé, en quelque sorte, dans le nouveau Rituale Cisterciense publié en 1998, qui inclut les prescriptions concernant le Missel et la Liturgie des Heures. Pour certains rites, tels que l’initiation monastique et les funérailles, les deux Ordres cisterciens (la stricte et la commune Observance) ont collaboré et abouti à un rituel unique. Le calendrier monastique a été approuvé par le Saint-Siège pour l’ensemble de la famille bénédictine, avec des particularités propres à chaque Ordre. Chacun des deux Ordres cisterciens a obtenu sa propre loi-cadre pour l’Office divin, en 1974, quelques années avant le “Thesaurus” approuvé pour les bénédictins en 1977. Rien n’empêche que les cisterciens s’inspirent, dans le concret de l’Office divin, de ce “Thesaurus”. La C.F.C. a d’ailleurs collaboré à l’édition de La liturgie monastique des Heures publiée par l’abbaye de Clervaux en 1980, à l’usage des bénédictins qui célèbrent en français : cet ouvrage peut servir de référence aux cisterciens, même s’ils l’utilisent peu comme livres de chœur proprement dits.



Mais il ne suffisait pas de mettre en place rites et livres liturgiques. La réforme devait être comprise, appliquée et vécue par les communautés. Bien sûr la commission de l’Ordre s’en préoccupait, mais dans la mesure où la liturgie se célébrait dans les diverses langues vivantes, c’était au niveau des zones linguistiques que les choses devaient se mettre en place et qu’une collaboration devait s’établir : le Chapitre général de 1967 l’a compris et a donné son feu vert – à l’époque son autorisation était nécessaire – pour que des commissions régionales de liturgie soient instituées par les abbés et abbesses d’une même région.


C’est ainsi que la C.F.C. vit le jour et tint sa première réunion en février 1968.

Comme les président et secrétaire de la Commission de l’Ordre étaient français, tout naturellement ils prirent la direction de la C.F.C., ce qui a pu contribuer à une bonne coopération entre les deux commissions et peut-être aussi à ce que certains les confondent : pourtant elles sont tout à fait distinctes et avaient des objectifs et des tâches différentes.


La commission de l’Ordre éditait alors un bulletin en versions française et anglaise : c’est en appendice de l’édition française que la C.F.C. commença à publier des documents intéressant la célébration de la liturgie en français. En 1971, la décision fut prise de séparer les deux versions et de confier la rédaction du bulletin français à la C.F.C. Ce bulletin est devenu la revue trimestrielle Liturgie qui en est aujourd’hui à son 138e numéro. Les quatre cinquièmes des abonnés sont des communautés monastiques : bénédictins, cisterciens, carmélites, clarisses… Cependant elle intéresse un nombre significatif de laïcs et nous reviendrons plus loin sur le contenu de ses publications.


À l’appel du président-fondateur, les abbés et abbesses des communautés cisterciennes ont proposé eux-mêmes les premiers membres de la commission. D’emblée elle fut “mixte”, composée de moines et de moniales. D’abord commission créée dans le cadre législatif de l’Ordre, elle prit peu à peu plus d’autonomie et devint même en novembre 1971 une association reconnue civilement selon la loi française, ceci pour des motifs administratifs, afin de mieux gérer les droits d’auteurs de ses publications ainsi que son budget (je reviendrai plus loin sur ces publications). Mais elle a toujours maintenu un lien organique avec les abbés et abbesses cisterciens, qui en constituent le “comité de patronage”. Nous l’avons inscrit dans les statuts qui prévoient également que, pour faire partie de la C.F.C., il faut l’avis conforme du supérieur ou de la supérieure du membre pressenti ; cependant, comme toute association civile, la commission élit elle-même son comité directeur, composé d’un président, d’un vice-président, d’un secrétaire, d’un trésorier et de quelques autres membres. Il va de soi qu’avant de pressentir quelqu’un pour ces fonctions, l’accord de son supérieur est recherché. Dans la nouvelle organisation ces membres sont élus pour quatre ans renouvelables.


Très rapidement la commission s’est ouverte aux autres composantes monastiques de France, elle n’est donc plus une commission de l’Ordre cistercien, même si elle reste marquée par ses origines.


La commission a connu une certaine “stabilité” dans sa direction puisqu’en 36 ans et sans doute pour un certain temps encore, elle n’a connu que trois présidents (l’abbé de Bellefontaine, dom Emmanuel Coutant, jusqu’en 1971, moi-même ensuite et, depuis 2002, dom Olivier Quénardel, abbé de Cîteaux) et trois secrétaires depuis 1972 : dom Paul Houix, actuellement abbé de Timadeuc, sœur Marie-Pierre Faure de Chambarand – de 1981 à 1998 –, et Mère Christine Vilmain, actuellement abbesse du Rivet). Le nombre des membres tourne autour d’une vingtaine, tous moines ou moniales : certains sont devenus des piliers de la commission, d’autres n’ont fait que passer : la composition varia au cours des années, au fur et à mesure des démissions, des décès, des changements de poste, voire des départs (surtout au début des années 70) ; un bon nombre (une bonne douzaine) sont devenus abbés ou abbesses de leur communauté : certains ont continué d’agir dans la commission, pour son plus grand bien, d’autres ont préféré arrêter leur contribution. Les moines et moniales qui ont suivi l’enseignement dispensé par l’Institut supérieur de Liturgie de Paris ont été sollicités pour faire partie de la commission, ce qui n’a pas toujours été possible. Actuellement la C.F.C. compte 13 cistercien(ne)s, 11 bénédictin(e)s, 1 Clarisse, 1 frère de Bose. La vice-présidente est sœur Étienne, moniale de Pradines et le trésorier, dom Joël, abbé de Tournay.



La C.F.C. dans le paysage français de la rénovation liturgique


Dès le début la C.F.C. collabora avec d’autres personnes, sans que celles-ci fassent officiellement partie de la commission. Les assemblées générales annuelles comportaient un certain nombre d’invités, conférenciers ou participants. Nous avons eu également des liens avec le Centre National de Pastorale Liturgique établi par les évêques de France : nous nous sommes rendus des services réciproques. Aux assemblées générales ordinaires de la C.F.C., nous nous retrouvons facilement une trentaine, membres, collaborateurs et autres invités, avec suffisamment de stabilité dans le groupe pour que la réflexion puisse se poursuivre d’une assemblée à l’autre : les PP. J. Gelineau et D. Rimaud furent des habitués de nos sessions, comme aussi, durant de longues années; le Frère Pierre-Yves Emery de Taizé. Certaines personnalités extérieures au monde monastique ont comparé nos réunions à une “université d’été” d’un bon niveau, mais qui demeure accessible ; elles ont apprécié qu’un tel lieu de réflexion puisse exister, un lieu de parole libre, à structure légère, bien que poursuivant un mandat “officiel”.


Depuis 1999, une année sur deux, l’assemblée générale s’ouvre aux membres de nos communautés qui veulent se ressourcer ou raviver quelque peu leurs connaissances. Pourquoi une année sur deux ? À la fois pour ne pas multiplier les propositions de sessions et pour que la commission puisse tenir ses propres réunions, au moins tous les deux ans ; mais aussi parce qu’il semblait qu’un même thème pouvait nous occuper à deux niveaux complémentaires, une fois dans une rencontre restreinte aux membres de la commission, qui baliserait le sujet, avec peut-être plus d’interrogations, et, l’année suivante, au cours d’une assemblée plus ouverte, qui approfondirait le thème et répercuterait davantage le résultat de la réflexion.


Dans les premières années du renouveau des initiatives avaient été prises dans le monde monastique et dès sa création la C.F.C. s’y associa. La première initiative vint d’un groupe de moines, notamment bénédictins, qui se préoccupa de sensibiliser les communautés aux valeurs propres qu’il s’agira de dégager et de promouvoir à travers les réformes officielles qui s’annonçaient. Ces moines, sous l’impulsion de dom Robert Gantoy, de St-André-de-Bruges, se constituèrent, au début de 1965, en «comité» ou groupe-pilote, qui s’intitula Liturgie et monastères et lança la publication d’études et d’une chronique inter-monastères. Ce comité organisa une première session, sur la formation liturgique dans les monastères, les 28-30 juin 1966 à Taizé, qui était alors la seule communauté célébrant la liturgie en français, notamment celle des Heures. La session fut un succès, puisqu’elle réunit quelque 90 moines et moniales. Les sessions continuèrent chaque année, jusqu’en 1972 : sept au total, qui eurent un certain retentissement. Ceux qui furent appelés à travailler dans le cadre de la C.F.C. participaient, en général, à ces rencontres annuelles. Des chantres se sont réunis à Bellefontaine, puis en d’autres lieux, pour étudier les questions musicales qui allaient se poser. Ils formèrent un groupe qui s’intitula en 1968 Chant et monastères et fut le commencement de ce que la section “chant” de la C.F.C. allait entreprendre.


Ces diverses initiatives, en effet, furent peu à peu relayées par le travail de la C.F.C. Celui-ci s’établit autour de trois domaines : la traduction et la création de textes pour la liturgie, les questions de chant et de musique, la formation doctrinale et pratique. Chaque membre de la commission est affecté à l’une des trois “sections” qui prennent en charge un de ces domaines. Nous allons passer en revue ces trois domaines.



Création littéraire


On ne peut prier qu’avec des textes de qualité. Dès les débuts la Commission s’en soucia. Sous la pression des besoins et des urgences, moines et moniales se mettaient à produire pour leur communauté. Une coordination et un certain contrôle s’imposaient. La première tâche de la section “Textes” fut de collationner ces traductions et créations et de donner des critères et des directives. Elle fut ainsi amenée à un travail de réflexion sur les divers genres littéraires, en tenant compte du point de vue théologique et fonctionnel. Le fruit de ces études fut publié parfois dans Liturgie. Mais très rapidement, elle s’aperçut qu’elle devait fonctionner elle-même comme agent producteur de textes, en regroupant au cours de sessions spéciales les moines et moniales qui paraissaient plus doués pour ce genre d’activité. Le sigle CFC est devenu alors un nom d’auteur déposé à l’organisme civil chargé des droits d’auteurs, la SACEM. Le premier travail porta sur les traductions et propositions de textes du rituel, à la demande de la Commission de l’Ordre, mais on ne tarda pas à penser à l’Office : antiennes et oraisons, puis, surtout, hymnes et “tropaires”.


Dire que la C.F.C. est un nom d’auteur ne signifie pas le charisme particulier de ceux ou celles qui collaborent à la création des textes est raboté et méconnu. Dans les premiers temps, selon l’antique tradition de l’Église, on a voulu conserver un certain anonymat des textes destinés à la liturgie. Mais certaines raisons ont poussé à ce qu’au moins paraissent les initiales de celui ou celle qui a l’initiative d’une création et la “porte” pleinement. Cependant le texte n’est assumé par la C.F.C. que s’il a été étudié, amendé, vérifié d’une manière ou d’une autre dans le cadre de la section “Textes” et vérifié sur le plan doctrinal. En un sens le sigle C.F.C., comme nom d’auteur, s’apparente à un copyright ou à un label.


En novembre 1967, l’épiscopat de France crée une commission spécialisée pour l’élaboration des textes, la C.L.E. : quelques auteurs de la C.F.C. furent invités à y collaborer. Sa mission se termina en 1974, avec la parution d’un recueil œcuménique de chants en diverses langues, préfacé par Philip Potter, alors secrétaire général du Conseil Œcuménique des Églises, Cantate Domino. Le grand poète français Patrice de la Tour du Pin, qui participait avec beaucoup d’attention au travail de la C.L.E., se disait heureux de partager son expérience de croyant et d’être «appelé à dire la louange». Très sensible à la vie contemplative, il demeura jusqu’au bout un soutien, mieux un ami fidèle des moines et des moniales. Il accepta de préfacer le premier recueil de textes C.F.C. La nuit, le jour sous forme d’une longue lettre aux contemplatifs. L’on découvrira sur le site cette Lettre qui reste à la fois un témoignage, un testament et une charte. Il y exprimait son désir de voir moniales et moines s’atteler à cette tâche de création de textes. N’était-ce pas le rôle des monastères dans l’histoire de la tradition eucologique de l’Église ? Mgr Martimort le rappelait à de jeunes étudiants cisterciens à Rome en 1965: «La création liturgique ne peut venir que de la contemplation… Vous avez donc une place importante à tenir, plus grande que vous ne le soupçonnez, en étant à votre place de moines. Je vous lance le gant…» Soit dit en passant, c’est une des raisons que nous avons évoquées pour demander, en 1967, la possibilité pour les moines d’user de la langue vivante dans la liturgie: privée du concours des contemplatifs, l’Église du XXe siècle trouverait-elle son expression liturgique la plus complète, sinon la plus profonde ?


Le gant a-t-il été relevé ? En tout cas, Prière du Temps Présent, la liturgie romaine des Heures en français, publiée en 1980, compte 102 hymnes signées C.F.C. À l’heure actuelle, la base de données que tient à jour sœur Marie-Pierre Faure, responsable de la section “textes”, compte 594 hymnes et 414 tropaires.



Plusieurs recueils de textes ont parus en librairie :


La nuit, le jour, Desclée-Cerf 1973 ;

Guetteur de l’aube, Desclée 1976 ;

Sur la trace de Dieu, Desclée 1979 ;

Tropaires des dimanches, Sodec 1980 ;

Prières aux quatre temps. Des poèmes et des chants, Centurion 1986.


Des hymnes ou tropaires paraissent dans des numéros de Liturgie dont quatre, les n° 56, 66, 95 et 107, leur sont presque entièrement consacrés.


La commission rédigea également des formulaires de prières litaniques pour les Laudes et Vêpres, ainsi qu’un recueil de prières pour les différentes heures de la journée, selon les jours et les fêtes :


Prières de louange et d’intercession, St-Paul 1986. Seconde édition révisée Louanges et intercessions, St-Paul 1989.

Prière au fil des heures, Centurion 1982. Seconde édition révisée, actualisée, complétée : Prions le Seigneur, Lethilleux-Kinnor 2004.


Tous ces livres sont maintenant épuisés, hormis le plus récent, Prions le Seigneur. Mais, peu à peu c’est tout ce corpus qui sera introduit sur le site CFC-Liturgie. Un corpus qui s’enrichit avec les années et l’arrivée de nouveaux auteurs.


L’on pourrait se demander, face au nombre de textes existant déjà, si cela vaut la peine de produire de nouvelles œuvres. Oui, cela vaut la peine, car une langue évolue. Les communautés évoluent également et peuvent, parfois, faire de nouvelles options, dans leur chant, même si, pour des raisons évidentes, elles maintiennent une certaine stabilité dans leur répertoire. D’autre part, pourquoi interdirait-on à des auteurs d’exprimer dans l’aujourd’hui de la liturgie ce qu’ils ressentent et ont envie de communiquer ? Comment et pourquoi arrêter l’inspiration poétique ? À condition, bien sûr, que le résultat en vaille lui-même la peine : l’examen des textes par la section ad hoc de la C.F.C. est là pour le vérifier et le garantir, pour qui accepte de se soumettre à ce qui se veut une aide fraternelle. Mais le vrai discernement sera opéré par la mise en musique, l’utilisation et donc la “réception” des œuvres par les communautés célébrantes.


Le lien texte-musique, en effet, est important. À quoi sert un beau texte, s’il n’est pas chantable, à moins qu’il ne soit destiné à être simplement déclamé ? Dès 1969 des contacts existent entre musiciens et poètes : c’est à ce rapport entre texte et musique que fut consacrée l’assemblée générale de cette année-là, au monastère des Gardes. Celle de 1985 à Jouarre reprit le sujet. Les textes, qui sont isorythmiques – c’est-à-dire que chaque strophe a le même rythme verbal, constitué de syllabes appuyées ou non qui reviennent aux mêmes endroits –, semblent bien convenir pour pouvoir être mis en musique, au point qu’un même texte a souvent inspiré plusieurs musiciens. Certains de ceux-ci ont beaucoup composé pour le monde monastique, comme Jacques Berthier (+), Stéphane Caillat, J.-M. Dieuaide, Pierre Doury, Henri Dumas, Joseph Gelineau, Philippe Robert, Marcel-Joseph Godard (+),Francine Guiberteau, Christian Villeneuve (+). De jeunes et nouveaux compositeurs prennent le relais en Europe… ou au Québec. Au total, en 2007, 1500 musiques sont répertoriées sur le catalogue du fonds Secli.



Au service du chant et des chanteurs


À part les frères de Taizé, personne, en 1968, n’avait l’expérience d’une psalmodie française de l’Office. Où trouver un répertoire d’antiennes, d’hymnes, de tons de psalmodie ? Il fallait s’entraider. On para au plus urgent : fournir des recueils de chant et pour cela susciter la création musicale de moines ou moniales compétents, mais aussi de musiciens de métier. Les musiques que recueillait la C.F.C. étaient, après un premier tri, éditées en “cahiers”, puis en “supplément” du bulletin, tandis que les éditions du Livre d’Heures d’En-Calcat (Sodec) multipliaient dans le commerce des fiches de chant.


En 1975, un service plus organisé de tri des musiques produites se mit en place à l’instigation des abbés de la Province de la Pierre-Qui-Vire. Ce service, dont faire partie la C.F.C., s’est déclaré association civile, selon la loi française, sous le sigle Trirem : il a ses propres censeurs et exerce encore une certaine sélection sur la production. En 1998, après la disparition de la Sodec, la C.F.C. fonda une société d’édition Kinnor, qui lui permet de mettre sur le marché des propositions de chants liturgiques.


La diffusion est assurée par une autre association, dont le secrétariat est tenu par les moniales bénédictines de Dourgne, le S.E.C.L.I. Ce secrétariat, établi avec l’appui de la Commission épiscopale de liturgie, gère la question des droits de reproduction des partitions liturgiques pour l’ensemble des paroisses et des communautés. Tout ceci peut paraître une organisation bien complexe, mais elle est efficace et simplifie la tâche des chantres de nos communautés.


Très tôt, l’on sentit qu’il fallait approfondir la formation musicale des moines et moniales compositeurs. Ce fut l’origine en 1969 des ateliers Victor Martin. Ce musicien, qui travaillait en relation avec l’abbaye de St-Benoît-sur-Loire, accepta de programmer une formation à l’écriture musicale sur un cycle de trois ans, avec deux sessions annuelles de quinze jours et travail personnel entre les sessions. Le travail était de haut niveau et les participants en nombre assez restreint. Il y eut trois ateliers successifs, mais la collaboration continua sous forme de “piqûres de rappel”. Œuvre difficile que celle de créer un patrimoine musical nouveau «qui vaudrait la peine»  ! Cela, disait Mgr Bugnini, «demande plusieurs décennies. Il y faut en plus, de la patience, de la persévérance, une sélection intelligente, de l’inspiration, du génie : qualités rares, don gratuit de Dieu» . Au bout de la troisième décennie de créations musicales, nous commençons quand même à voir germer de beaux fruits savoureux…


Mais les rencontres de chantres continuaient ; l’idée vint de les faire par régions, pour réduire le temps et le coût des déplacements, tout en coordonnant les recherches par les comptes rendus que les groupes se communiqueraient. Trois groupes régionaux se mirent en place dès 1972 ; ils ont été jusqu’à sept. L’Assemblée générale de la C.F.C. donne à leurs responsables l’occasion de se rencontrer. Examen de répertoires, travail choral, formation musicale se partagent en général les journées régionales. Chaque groupe se fait suivre si possible par un ou des musiciens de métier.


Les gens de la base et les chantres débutants ne sont pas oubliés. La période 1968-1974 fut chargée en sessions de formation progressive : chant et direction chorale (César Geoffray…), pédagogie musicale (méthode Orff, abbé Schol1aert), expression corporelle (Mme Peerboom), psychophonie (Mme Aucher). Après une interruption de trois ans, les sessions de formation au solfège, à la technique vocale, à la direction chorale, reprirent en 1977 à la Pierre-Qui-Vire (abbé Dumas, Dominique Pacqueteau…) ; elles continuent de façon intermittente, selon la demande. Des ateliers de lecture ont fonctionné à une certaine époque (Maurice Chevit), ainsi qu’une formation accélérée d’organistes à Lyon (abbé Godard) pour l’accompagnement du chant liturgique (un cycle de deux ans en plusieurs sessions avec un travail personnel entre-temps).



Participer de façon consciente, active et fructueuse
(S.C. § 11)


Telle est bien la finalité de nos efforts et pour cela il ne suffit pas de bien chanter de beaux textes. La liturgie est action, elle est mystère. Toute une part, et non la moindre, du travail de la C.F.C. est d’aider nos communautés à mieux vivre ce mystère, à mieux le célébrer. Par l’information, d’une part : des enquêtes ont été faites à plusieurs reprises sur la pratique de nos diverses communautés, pour que les recherches des uns puissent profiter aux autres : sur la liturgie des Heures et les besoins des communautés (1968 et 1978), sur la célébration de la Semaine Sainte et du Temps pascal (1972), sur la célébration du dimanche (1974) et de l’Eucharistie (1979), sur le sacrement de réconciliation (1975), sur le Rituel (1982). Par la formation, aussi : une session de quinze jours fut organisée pour jeunes moines, au Bec-Hellouin en 1977, et une autre, sur trois ans, pour animatrices de liturgie.


La publication de Liturgie entre dans ce créneau de la formation. Le bulletin La revue accueille les principaux échanges et exposés des assemblées générales. À celles-ci, bien sûr, sont traitées les questions d’organisation de la Commission et des activités des diverses sections. Mais nous en profitons toujours pour une réflexion plus approfondie sur un aspect de la célébration et souvent nous faisons appel au concours de personnalités compétentes dans le domaine abordé, extérieures au monde monastique.


Tout y est passé, ou presque, depuis 35 ans :


- La célébration en elle-même avec Claude Duchesneau (1972), ses espaces et lieux, avec le P. Debuyts et quelques architectes (1987, 1988),

- le dimanche (1974, 1993),

- l’Eucharistie (1979, 1998-1999),

- la pénitence-réconciliation, avec le P. Marlingeas (1975),

- la mort et les funérailles (1976, 1996-1997, avec Christian de Cacquerey et du personnel hospitalier).

- la Parole de Dieu dans la liturgie (1986),

- la psalmodie et ce qui l’accompagne, antiennes, tropaires, prières litaniques… (1977, 1978) : le P. Gelineau nous a beaucoup apporté à ce niveau, mais lui-même a profité de l’expérience monastique en la matière),

- les rapports entre parole et chant, avec le P. Jean-Yves Hameline (1969, 1984, 1985),

- l’initiation monastique (1995),

- l’agir symbolique et rituel dans un parcours étalé sur quatre années à partir de causeries du P. Jacques Vidal (1980-1983) et la reprise de ce thème en 1993 avec Henri Couleau.


Des questions plus générales ont été abordées, comme :


- l’accueil dans la liturgie (1970, 1987),

- la liturgie et l’orthodoxie de la foi (avec le P. Gy, en 1990),

- l’œcuménisme, avec des pasteurs, des anglicans, des orthodoxes (1990, 2004-2005),

- la formation, la beauté dans la liturgie (avec le P. De Clercq, Dominique Ponneau, ancien directeur de l’École du Louvre),

- liturgie et vie fraternelle (2002-2003).


Notre assemblée de 2006 a porté sur la place du corps dans la liturgie, et plus précisément du “Corps-Parole”, avec l’aide de comédiens. Nous en donnerons ici un bref compte-rendu.


Le périodique Liturgie répercute dans un public plus large le fruit des réflexions sur les thèmes abordés dans les assemblées générales, mais il contient aussi d’autres articles de fond, qu’il serait trop long d’analyser dans le cadre de cette causerie. Les tables permettent d’apprécier le contenu des divers numéros. Après dom Paul Houix, actuel abbé de Timadeuc, P. Marc-André Di Péa du Mont-des-Cats, P. Robert Gantoy de Clerlande en Belgique, dom Bernard Christol, ancien abbé des Dombes, dom Hugues de Seréville, actuel abbé des Neiges, la secrétariat de rédaction est sassuré par sœur Marie-Pierre Faure, responsable de la Section Textes.



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En octobre 1992, l’assemblée générale de la C.F.C. fut exceptionnelle, à l’occasion des 25 ans de la commission, alors qu’approchaient les trente ans de Sacrosanctum Concilium (décembre 1993). Les supérieur(e)s et les responsables de liturgie des monastères furent tous invités, afin que nous puissions réfléchir ensemble sur la rénovation liturgique entreprise et encore à entreprendre et sur le rôle – était-il encore nécessaire ? – de la C.F.C. Plus d’une centaine de participants se réunissaient alors à l’abbaye du Bec-Hellouin. Mgr F. Favreau, évêque de Nanterre, près de Paris, fit le point sur la réforme liturgique initiée par Vatican II, non sans citer la lettre de Jean-Paul II pour le 25e anniversaire de la Constitution conciliaire : la réforme est terminée, mais la pastorale liturgique doit sans cesse se poursuivre. Il insista sur l’adaptation et l’inculturation, qui sont à la fois fidélité-continuité et mouvement-créativité, à la façon des arbres de nos forêts qui changent sans cesse, mais pour durer et s’enraciner. Les obstacles ne manquent pas à une saine inculturation de la liturgie, alors que la culture devient de plus en plus matérialiste et que la vie sociale se structure autrement que par la liturgie. Les monastères ont un rôle à jouer et l’évêque nous dit ce qu’il en attend : à vrai dire, il nous a communiqué quelques-unes des convictions de base dont nous pouvions faire notre profit. Après le point dressé par le président de la C.F.C. et entre deux causeries, l’une de l’abbé Duchesnau sur l’art de célébrer dans le monde aujourd’hui et l’autre de sœur Marie-Pierre Faure sur créativité et liturgie, les participants ont travaillé en différents “ateliers” sur cinq thèmes pratiques : l’année liturgique, l’hymnodie, les prières litaniques, le répertoire musical et la proclamation des lectures. Les séances de questions-réponses et la table ronde finale furent précieuses à bien des égards. La conclusion montra que la C.F.C. avait encore son utilité au service de tous.


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Il faudrait maintenant regarder ce qui s’est passé dans les communautés et comment elles ont tiré profit de ce que proposait la C.F.C. On se rend compte, à travers des résultats d’enquête ou d’autres indices, que la rénovation a été et continue d’être vécue de façon fort différente selon les communautés. On pourrait tout aussi bien dire que la communauté s’est forgé en quelque sorte un visage particulier à travers sa célébration liturgique. Le choix des chants, l’aménagement des lieux, l’horaire et un tas d’autres choses donnent un caractère particulier qui peut typer une communauté; mais plus profondément la réforme a pu être une épreuve de vérité pour certaines. Des rapports de force ont pu jouer entre les divers agents de la réforme, des options ont pu diviser… Autrefois, la liturgie était intouchable, elle était uniquement un “donné”. Il n’y avait rien à redire et chacun pouvait s’y insérer sans trop s’occuper de son voisin, sinon pour aller au même rythme ; maintenant il est difficile de ne pas réagir aux options qu’il est possible de prendre. On parle parfois de réactions intégristes ou progressistes ; pour une part, il s’agit d’une question de tempérament ou de façon de se situer et ces tempéraments existaient bien avant la réforme conciliaire. Mais la liturgie réconciliait tout le monde… et personne. Maintenant, il n’en va plus de même. La liturgie a pu être parfois, hélas, un lieu d’affrontement, elle se doit pourtant d’être un lieu de réconciliation et d’unité, un lieu d’approfondissement de la vie communautaire. Par le sacrement de l’Eucharistie – et d’une certaine manière, par toute la liturgie – la communauté devient Corps du Christ.


Sur un plan plus concret, l’on peut dire que, à part plusieurs communautés de la Congrégation de Solesmes, les monastères psalmodient en langue française. Le grégorien est maintenu plus ou moins pour l’Eucharistie, ainsi que pour les antiennes et les hymnes. Mais le répertoire des hymnes en français est suffisamment développé pour que, non seulement aux féries, mais aussi à quasiment toutes les solennités et au commun des fêtes l’on puisse chanter en français si cela est souhaité. Le manque d’enquêtes récentes ne me permet pas de dire dans quelle mesure ou quelle proportion cette possibilité est mise en œuvre.


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Un dernier mot : Nos liturgies ne sont-elles pas trop monastiques ? Nous n’oublions pas qu’elles sont “ouvertes”, dans l’ensemble, et que bien des chrétiens y prennent part, surtout le dimanche. Ils font partie de l’assemblée liturgique au titre de baptisé, tout comme les moines et moniales, certes. Il demeure que la prière liturgique d’un monastère est d’abord celle de la communauté, à laquelle s’associent d’autres personnes ; ce qui veut dire que les chants, par exemple, sont choisis dans le répertoire monastique en fonction de la communauté, tout en veillant à ce qu’ils soient accessibles à tous, au moins dans le refrain. Il est bon que tous soient invités à entrer pleinement dans la célébration, même si, en fait, ils écouteront plus qu’ils ne chanteront ; mais la participation active ne nécessite pas que tous chantent à gorge déployée. Il y a bien des façons de participer de façon vivante et fructueuse à une liturgie. En certains endroits l’on propose à un hôte de proclamer une lecture ou de préparer les intentions de la prière universelle et même l’on demande éventuellement à un groupe bien spécifique de chanter quelque chose après la communion, par exemple… Comme cela a été exprimé au cours d’une assemblée en 1987, notre accueil doit être sans condescendance ni fausse honte : «Sans condescendance : l’eucharistie, et même l’Office, en tant que prière d’Église, appartiennent à tous ceux qui s’y réunissent. Les hôtes n’ont pas à s’y sentir comme des parents pauvres, tassés dans les coins. Leur venue est une grâce du Seigneur, elle conforte la communauté dans sa grâce propre. Leur attente, pas forcément très explicite, exprime un appel spirituel adressé à la communauté par le Seigneur, ainsi qu’une confirmation de la part de celui-ci. Sans fausse honte : ce que nous leur proposons, c’est ce que nous sommes, nos valeurs, notre style. Cela leur demande un dépaysement indispensable et salutaire. Comme les communautés, ils savent que leur présence « physique » n’est pas indispensable pour que la liturgie et la vie monastique en général aient leur sens». Mais ils savent aussi qu’une communauté monastique ne célèbre pas elle-même, pas plus qu’une assemblée paroissiale : l’une et l’autre célèbrent le mystère du Christ.


fr. M.-Gérard Dubois

Abbaye de la Trappe

2007